Témoignage d'Indochine du soldat Guy


Origine

 

  « Je suis né à Fiez, au Maroc, et y est vécu 4 ans. Je suis retourné en métropole, plus précisément en Lorraine avec mes parents. 
Jusqu’à l’âge de 12 ans, j’ai hésité entre aller au séminaire et aller dans l’armée. Finalement, j’ai suivi la voie de mon père qui était sergent chef à cette époque, d’autant plus que beaucoup d’enfants faisaient le même métier que leurs parents.
Je me suis engagé dans l’armée à l’âge de 18ans. Je suis parti en Indochine à l’âge de 19ans en février 1949 en tant que sergent et je suis revenu en octobre 1951.
Mon deuxième séjour en Indochine s’est effectué de octobre 1954 à Avril 1956 en tant que sergent chef après le « cessez-le-feu ». J’ai dû laisser ma femme et mon fils de 6 jours. »
 

   

Déplacement


« On était habitué à se déplacer à pied, ça change complètement de maintenant où il y a plein de transports. Mais on se plaignait pas de cette situation. Quand on nous disait  il y a cinq kilomètres à faire, et bien on les faisait sans se plaindre parce qu’il fallait les faire, et si il fallait en faire 15km, on en faisait 15 : on était en guerre. On n’avait pas à se dire qu’il y aurait un véhicule ou un hélicoptère qui venait nous transporter. D’ailleurs en Indochine, à l’époque il devait y avoir deux ou trois hélicoptères, à tout casser, pour toute l’armée française ! Et pourtant il fallait qu’on se déplace rapidement.


En moyenne il fallait à peu près 30 jours pour faire Marseille- Saigon (capitale de la Cochinchine) par bateau. Moi, j’étais un privilégié car j’ai pu effectuer trois voyages sur quatre à bord du bateau le plus rapide à l’époque, il s’appelait Le Pasteur, et j’ai pu faire en 24 jours ce trajet. »

 

  Communication

 « Nous n’avions pas de moyen de communication, nous n’avions pas de radio portative ; on n’avait même pas la TSF pendant cette période. C’est seulement en 1942, qu’il y a eu le premier poste de radio à la maison, donc c’est vous dire nos conditions de communication dans notre camp de guerre.
Nous n’étions donc pas au courant de ce qui pouvait se passer dans le pays ou ailleurs lorsqu’on était sur le terrain, contrairement à l’ennemi qui possédait des moyens de communication. Nous étions livrés à nous-mêmes, on était dans le cirage !!! Nous n’avions pas de rapport direct entre poste, sauf si on montait une opération où la compagnie devait se rassembler.
Nous pouvions recevoir tout de même du courrier, mais cela prenait un temps fou. Le système pour le recevoir était plus ou moins complexe, car chaque unité de combat avait son propre numéro de secteur postal. Donc nos familles envoyaient les lettres à la seule adresse du secteur postal. »  


Condition de vie
 

« A cette époque là, il faisait terriblement froid, et pourtant on n’avait pas grand-chose pour se couvrir, juste nos habits de guerre et un pull (un seul car nous n’avions pas les moyens d’en avoir deux).
Le ravitaillement était quotidien, pour chaque opération nous possédions des boîtes de conserves dans laquelle il y avait une ration pour chaque repas. Ma première mission a duré trois jours et j’ai dû transporter 9 boites métalliques: une boîte pour le matin, une pour midi, et une pour le soir. Donc on était aussi lourd en nourriture qu’en armes. » 


Ambiance


« Il y avait une grande solidarité entre les soldats (due à la guerre), mais bien sûr, il pouvait y avoir des divergences d’opinions entre les soldats ; bref, les rapports étaient plus ou moins intimes. »







Le fait le plus marquant :
 

« J’ai déjà vu des camarades se faire tuer, j’ai eu à soigner des blessés, mais ce qui m’a le plus marqué c’est la mort d’un sergent chef qui m’était très cher.
 
A l’époque où il était caporal, il était célibataire, très jeune sergent chef et qui avait beaucoup de valeurs. Il venait souvent discuter avec nous dans la chambre le soir. Un soir, il est venu dans ma chambre et m’a dit : « Mouflet, je pars en Indochine » et je lui ai répondu : «Chef,  je pars avec vous ». Il m’a dit encore « Tu veux partir ? ». J’ai dit « oui, je pars avec vous ». Mais on a été séparés et j’ai appris qu’il a été tué dans des conditions atroces. Il était gaucher et son arme (un 9mm) qu’on n’avait pas à l’époque, était  performante… je ne comprends toujours pas comment il a été tué. »


Poste durant la guerre

« Je n’ai pas beaucoup été en unité de combat, j’ai plus été, contre ma volonté, en poste de guerre dans l’administration étant donné que j’étais caporal chef et que j’étais le seul à avoir la croix de guerre d’Indochine. Néanmoins j’étais en unité de combat en tant que tirailleur en Algérie, mais je n’ai pas « accroché » parce que je ne pouvais pas « tuer pour le plaisir de tirer ».
 
Au sud de la Cochinchine, c’était surtout la résistance vietnamienne. En fait, c’était surtout des noyaux de résistance plutôt qu’une vraie armée. On se battait essentiellement contre cette résistance qui se manifestait en masse ; d’ailleurs à chaque combat c’était de la « chair à canon ».
Je partais en patrouille pour faire du contact avec la population et ainsi essayer de trouver où il pouvait y avoir de la résistance. »


Embuscade

« Lors du transport de munition sur un convoi, j’étais suivi par une auto mitrailleuse qui a canonné des deux cotés.
Je ne me suis jamais aussi bien compris du regard avec quelqu’un qui ne parlait pas la même langue que moi (un cambodgien). Je devais suivre un convoi de ravitaillement d’une centaine de véhicules qui partait de Tumelotte pour rejoindre Barmétot. De manière a ce qu’il y ait suffisamment de vide entre deux véhicule , il y avait  un qui partait toutes les 2minutes . J’étais dans un véhicule qui était suivi par  une auto mitrailleuse.  Lors de la relève des auto-mitrailleuses
, les rebelles ont débarqué et ont commencé à tirer sur nous.
Ainsi l’embuscade s’est passée dans un virage. Ca tirait dans tous les côtés. Les automitrailleuses, qui nous suivaient, ont commencé à tirer à priori (des tirs de chaque côté de la route) en arrivant. Moi j’avais été immobilisé à terre par le cambodgien. Mais quand ça a explosé, j’ai cru que j’avais marcher sur une mine, et je pensais que c’était fini pour moi. Le chauffeur me regardait et m’a demandé si il devait continuer ou pas à tirer. Dans cette situation, on n’a pas le temps de prendre de décision car ça passe trop vite ; donc après un long moment il a cessé de mitrailler. »



Retour à la vie civile 

« Je suis revenu à la vie civile à 27ans et demi après m’être engagé (mais certains de ses camarades avaient fait 35 ans de service).»



Commémoration
 :

« A l’heure actuelle, on a des problèmes au niveau commémoration car à Rouen il n’y a rien qui commémore la guerre d’Indochine. Mais il est en projet une stèle, qui sera placé dans la région sur un côté du monument de la victoire, en Hommage des morts. Cette stèle sera inaugurée le 8 juin, la journée nationale aux morts d’Indochine. »

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